Guillaume Cabrol (Georges V) Autoroute pour une boulangerie traditionnelle toujours plus maîtrisée
Si le petit déjeuner de palace est toujours soigné, parfois prétexte à des rendez-vous d’affaires, ou la prestation simplement comprise dans le prix du séjour, ce moment de consommation, au Georges V ne relève pas du hasard. Un hommage à la culture boulangère française dans une version 2023, juste et dans les codes de l’époque, y est proposé par Guillaume Cabrol et son équipe.
En cette matinée de juin généreusement ensoleillée, la lumière qui traverse les hautes fenêtres de la salle consacrée au premier repas de la journée enveloppe d’une atmosphère chaleureuse le vaste buffet qui la préside. Les fleurs sont omniprésentes dans ce palace, qui cache en coulisses un dédale de cuisines dans lesquelles s’affairent les différentes brigades des trois restaurants étoilés. Ces espaces où tout se joue.
Les boulangers et pâtissiers travaillent coude à coude, favorisant communication, échange, inspiration. D’ailleurs, première confidence du chef boulanger Guillaume Cabrol (arrivé en 2021) : « J’ai eu envie de reprendre un geste de pochage spécifique aux pâtissiers et de reproduire ce mouvement par un lamage sur un pain. L’idée m’est venue en les observant travailler sur un de leurs desserts. »
Il ne nomme pas mais montre par le geste, car c’est bien un rapport brut, quasi organique, qui lie l’homme à son métier, et nul ne mettrait en doute le dévouement qu’il lui porte. Diplômé de pâtisserie d’abord, c’est pourtant la boulangerie qui l’attirera dans les filets d’une pratique qui ne cesse de le challenger — et Dieu sait que là est son moteur et sa source de créativité — et de le fasciner, tant la simplicité des produits et la pluralité des possibilités ne sont pas près de l’épuiser.
Reconverti d’une certaine façon, puisqu’il s’orientera vers un CAP à 25 ans, c’est dans l’adversité qu’il dépassera le stress de la peur d’échouer. Après un passage à l’Institut national de la boulangerie pâtisserie de Rouen (il ne voulait pas moins que la meilleure école pour se former), il passera ensuite son CAP de boulanger, après une expérience de commis pâtissier.
Pétri de gratitude envers des rencontres qui l’ont transformé, et même si c’est à la boulangerie qu’il a décidé de se vouer, la pâtisserie a planté chez lui le goût de la rigueur, faisant certainement germer à la fois une sensibilité à la pratique (difficile d’ignorer la forte complicité qui le lie à Michaël Bartocetti, chef pâtissier au Four Seasons Hotel Georges V, rencontré quelques années plus tôt au Plaza Athénée) et ce qu’il qualifie « d’un avantage pour la boulangerie car ces deux métiers se complètent ». Intense, entier, exigeant, il reconnaît avoir beaucoup évolué, grâce à son épouse mais aussi aux rencontres effectuées dans ces lieux d’exigence que sont les palaces.
Preuve en est l’attachement profond qu’il porte à la fois à son métier et à ses collaborateurs. Reconnaissant de l’expérience tirée de son travail avec les différents chefs — l’un d’entre eux est même devenu un de ses fournisseurs (Nicolas Berger, qui le recruta au Plaza et le fournit désormais en chocolat) — il se soucie de la qualité de vie et des horaires de sa brigade (une équipe de dix personnes, tous boulangers-touriers) et de la transversalité entre les équipes dans l’élaboration des pains et des pâtes.
Une gamme colossale
Pour l’interview, il nous a fait le calcul de sa production, sans cacher sa surprise après résultat : 30 références par jour, 1 250 produits — dont la moitié est destinée au petit déjeuner et l’autre répartie entre Le Cinq (3 étoiles Michelin de Christian Le Squer), Le George (1 étoile Michelin de Simone Zanoni), L’Orangerie (1 étoile Michelin d’Alan Taudon) et la Galerie, et cela, tout au long de la journée.
Et sur le buffet, l’orchestration pour le client ne laisse aucun doute quant à l’attention portée à l’offre de viennoiseries et de pains. Des croissants gonflés à souhait qui se distinguent par une double coloration, résultat d’une technique de tourage ; le choix du sucre rapadura, qui apporte plus de profondeur au goût ; et, surtout, un bon beurre, bien présent à chaque bouchée. « Je voulais aller plus loin pour le croissant, c’est pour ça que j’ai décidé de le travailler ainsi », explique-t-il, tout affirmant le plus humblement possible que son souci premier est « la maîtrise des bases ».
C’est peu de le dire quand on aperçoit son chausson aux pommes, telle une pierre précieuse taillée en triangle ; ou son kouglof, enveloppé d’un feuilletage donnant presque une impression de mouvement.
« L’idée de ces viennoiseries m’est venue au fil du temps, le challenge a été source d’inspiration. Par exemple : le chausson aux pommes, c’est à la suite d’une remarque de mon épouse. Elle m’a conseillé de travailler davantage les fruits, et en particulier la pomme, car elle adore ça. J’ai donc retravaillé le chausson pour amener ma vision en modifiant la recette classique. On l’a réinterprété. Et pour le kouglof, c’est en le proposant en version classique au directeur M. Drege, qui m’a recalé deux fois, que m’est venue l’idée d’aller plus loin. Nous avons donc créé le kouglof feuilleté pour le tea time de Michaël, petit clin d’œil à sa région parce qu’il est alsacien. Ce fut une réussite et désormais notre création revient régulièrement en viennoiserie du jour pour le petit déjeuner. »
En effet, en palace, ce sont les détails qui comptent : une pièce d’accueil, qui consiste en un pain au lait très vanillé présenté en une petite tourte prédécoupée, permet de patienter en testant les différents tartinables qui trônent sur les tables (une alvéole de miel avec un peu de pollen, deux beurres et des confitures) et de découvrir une bille de miel cristallisé de la Miellerie Damine.
Toutefois, pas un classique de la boulangerie n’est présenté sans un petit upgrade : pain au chocolat noir, pain aux raisins avec une touche de sirop d’érable, scones version végane et healthy, une viennoiserie du jour, déclinaison de pains au levain (le complet est feuilleté, le seigle et le pain aux graines coupé en épis, une baguette tradition et un pain aux fruits) pour accompagner une carte complémentaire.
Parmi les gourmandises, nous pouvons citer un grand choix de verrines sucrées salées, crêpes, gaufres, pancakes, et des œufs signatures concoctés par Alan Taudon.
Tout a été pensé en termes de taille pour une présentation sur des planches en bois sur mesure ; mais aussi en termes de pertes, de façon à les réduire au maximum. Dans la continuité du buffet boulanger, on trouve au milieu des salades, des fruits, des fromages, les brioches (dont une feuilletée), un biscuit polenta, un cake marbré et les classiques gâteaux de voyage.
Les Moulins Familiaux et Decollogne fournissent en farine, et le sourcing est principalement tourné vers des producteurs-artisans. Si la simplicité est le maître mot de Guillaume Cabrol, il ne se soustrait aucunement à l’exigence et à la maîtrise des savoir-faire : « J’ai dit un jour à M. Drege que je souhaitais être à la boulangerie ce que ACDC est à la musique : deux couplets, un refrain… en fait, tout simplement : efficace. »